07/02/2016

Débats avec Jean-Marie Rouart DNA 7/2/2016

Un excellent article de Nathalie Chifflet dans les DNA ce dimanche 7 février 2016
Débats avec son invité, Jean-Marie Rouart, écrivain


Il fut cancre, il est académicien. Les livres ont changé sa vie et Jean-Marie Rouart, ancien directeur du Figaro littéraire et auteur d’une dizaine d’ouvrages, leur rend hommage. Il ouvre la bibliothèque de ses passions littéraires


La lecture serait-elle une quête du bonheur ?
Le bonheur est un miracle qui s’enrichit par ce formidable afflux de l’art. Le bonheur, cette quête éternelle, ne dure qu’un instant. Un instant que les écrivains immortalisent. Le pire des malheurs est de rester enfermé en soi-même. Je ne connais pas de plus grand, merveilleux et varié voyage que la littérature à la rencontre d’une humanité très riche. On lit seul, mais la lecture est une solitude animée.

En ces temps difficiles, que peut-on attendre des livres ?
Ils nous disent comment il faut vivre, comment il faut aimer, ce que nous allons devenir. On ne peut pas se comprendre sans avoir recours aux livres, qui nous montrent aussi la pérennité de l’esprit humain. Les livres nous évadent dans un monde éloigné de notre médiocrité et ils nous situent en trouvant des hommes confrontés aux mêmes problèmes que nous. Les livres sont une grande espérance.

Écrire est-ce s’engager ?
Il y a des écrivains très engagés comme Zola, Mauriac, Voltaire, d’autres qui ne le sont pas, comme Proust, Mallarmé, Baudelaire. Je comprends que tous ne soient pas attachés à la chose sociale, à la lutte, aux combats, que tous ne se sentent pas obligés de vouloir changer la société. Il ne faut pas enfermer tous les écrivains dans le même modèle. Mais je trouve important qu’un écrivain s’indigne et porte des valeurs. Et cette indignation n’est pas forcément politique. Balzac l’a écrit : « J’appartiens à ce parti d’opposition qui s’appelle la vie ».

Vous publiez un livre mêlant savoureux portraits d’écrivains et morceaux choisis. Pourquoi cette déclaration d’amour à la littérature ?
Je suis un miraculé de la culture générale. J’ai fait de très mauvaises études, j’ai passé une adolescence douloureuse. J’étais à côté des études normales mais je dévorais des livres. À 14 ans, j’avais demandé à mon père de m’offrir Crime et Châtiment de Dostoïevski pour Noël. Mon livre est un peu le « Meetic » de la littérature, car ce qui est important avec les livres, c’est de trouver l’âme sœur et du plaisir. Je joue les guides, et je dis : suivez-moi !

Comment transmettre cet amour des livres, aux jeunes générations en particulier ?
La littérature ne doit pas seulement être le domaine des professeurs, de l’enseignement, des devoirs. Il faut parler des écrivains comme des gens très vivants. Il faut apprendre que la littérature, c’est la vie. Car la vie ne suffit pas. Les livres donnent un sens et enchantent nos vies prises entre les factures, les impôts, les notes à payer, les ennuis…

Les écrivains sont-ils vos héros ?
Oui ! J’ai rencontré avec les livres des personnalités exceptionnelles : Tolstoï, Napoléon, Jules César ou aussi bien Victor Hugo… Ma bibliothèque met à ma disposition tous les grands hommes, tellement immenses que je ne pourrais jamais en rencontrer de tels dans ma vie. Les livres apportent la présence de l’esprit. J’ai horreur de la médiocrité et la littérature m’a élevé au-dessus.

Un lecteur boulimique comme vous noue-t-il avec les auteurs des affinités particulières ?
Oui. J’ai noué des liens d’amitiés avec les écrivains, avec Rousseau, Montaigne, Mauriac, Bernanos… Et je ris très souvent avec Proust, mon meilleur copain. Je m’amuse énormément avec lui, j’ai une connivence et une complicité merveilleuses avec lui. Il est si drôle, jamais d’accord avec lui-même ! J’aime son esprit vif, subtil.

Les livres sont des consolateurs, vous rêvez vos lectures ?
Mais bien sûr ! Les livres sont des excitateurs, avec leurs héroïnes merveilleuses que l’on a envie de prendre dans ses bras, et en même temps ce sont des consolateurs. Proust m’a ainsi toujours consolé de mes peines de cœur.

Vous-même écrivez-vous pour vous consoler ?
Oui car la littérature est le seul domaine qui donne un sens à la souffrance. Tout le monde souffre mais l’écrivain a cette faculté de la retranscrire et de s’en guérir. Je n’exclus pas les autres arts mais le spectre dans la littérature est très vaste car l’écrivain n’est jamais un professionnel, comme peut l’être le musicien ou le peintre. Des ambassadeurs, des médecins, des ministres peuvent devenir écrivains. C’est autant de sensibilités.

Tout le monde peut-il être écrivain ?
Oui. Il n’y pas de prédestination, ni sociale ni professionnelle, à la littérature. N’importe qui peut avoir un talent. Le cardinal de Retz était un cardinal dragueur et il avait ce don… Ce don peut naître chez n’importe qui. Prenez Céline : il était médecin ! Quant à Jean Genet, c’était un voyou.

Vous êtes académicien et avez reçu des prix. Cette reconnaissance vous importe ?
J’ai eu de la chance car le talent ne suffit pas. J’ai des anges gardiens… Il y a tellement de bons écrivains qui ne sont pas entrés à l’Académie française. Zola s’est présenté 24 fois sans jamais être élu ! Les consécrations sociales, les honneurs, c’est agréable, je les ai cherchés, j’ai été opportuniste, je le reconnais. J’ai été un écrivain de l’ambition, peut-être parce que je doute de moi. Mais après, l’inquiétude demeure.
"Je ne connais pas de plus grand, merveilleux
et varié voyage que la littérature"  
Jean-Marie Rouart


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