23/06/2009

Muriel Barbery, L'élégance du hérisson

L'élégance du hérisson de Muriel Barbery © Gallimard 2009

Concierge, Renée Michel cultive les archétypes de la profession pour préserver son jardin secret: sa passion pour les héros de Tolstoï, la grande musique et les films d’Ozu. Entre satire sociale et réflexion philosophique, ce second roman est une savoureuse apologie de la seule intelligence... FNAC

Extrait : Je m'appelle Renée. J'ai cinquante-quatre ans. Depuis vingt-sept ans, je suis la concierge du 7 rue de Grenelle, un bel hôtel particulier avec cour et jardin intérieurs, scindé en huit appartements de grand luxe, tous habités, tous gigantesques. Je suis veuve, petite, laide, grassouillette, j'ai des oignons aux pieds et, à en croire certains matins auto-incommodants, une haleine de mammouth. Je n'ai pas fait d'études, ai toujours été pauvre, discrète et insignifiante. Je vis seule avec mon chat, un gros matou paresseux, qui n'a pour particularité notable que de sentir mauvais des pattes lorsqu'il est contrarié. Lui comme moi ne faisons guère d'efforts pour nous intégrer à la ronde de nos semblables. Comme je suis rarement aimable, quoique toujours polie, on ne m'aime pas mais on me tolère tout de même parce que je corresponds si bien à ce que la croyance sociale a agglo­méré en paradigme de la concierge d'immeuble que je suis un des multiples rouages qui font tourner la grande illusion universelle selon laquelle la vie a un sens qui peut être aisément déchiffré. Et puisqu'il est écrit quelque part que les concierges sont vieilles, laides et revêches, il est aussi gravé en lettres de feu au fronton du même firmament imbécile que lesdites concierges ont des gros chats velléitaires qui somnolent tout le jour sur des coussins recouverts de taies au crochet.
À semblable chapitre, il est dit que les concierges regardent interminablement la télévision pendant que leurs gros chats sommeillent et que le vestibule de l'immeuble doit sentir le pot-au-feu, la soupe aux choux ou le cassoulet des familles. J'ai la chance inouïe d'être concierge dans une résidence de grand standing. Il m'était si humiliant de devoir cuisiner ces mets infâmes que l'intervention de M. de Broglie, le conseiller d'Etat du premier, qu'il dut qualifier auprès de sa femme de courtoise mais ferme et qui visait à chasser de l'existence commune ces relents plébéiens, fut un soulagement immense que je dissimulai du mieux que je le pus sous l'apparence d'une obéissance contrainte.
C'était vingt-sept ans auparavant. Depuis, chaque jour, je vais chez le boucher acheter une tranche de jambon ou de foie de veau, que je coince dans mon cabas à filet entre le paquet de nouilles et la botte de carottes.

Biographie : Avec sa prose mordante et ses personnages insolites, Muriel Barbery a fait une entrée fracassante dans le club des auteurs à succès. Agrégée et enseignante de philosophie, elle prend sa plume en 2000 pour écrire son premier roman et publie 'Une gourmandise', dans lequel un critique gastronomique à l'agonie est en quête d'un goût inconnu. Après le succès aussi fulgurant qu'inattendu de ce premier opus, Muriel Barbery sort en 2006 un second livre, 'L' Elégance du hérisson'. Elle y raconte les destins croisés d'une concierge férue de culture, d'une petite fille bourgeoise et d'un riche Japonais. Avec cette satire sociale à l'humour tendre, Muriel Barbery conquiert - essentiellement grâce au bouche à oreille - un lectorat de plus en plus grand et s'impose comme un écrivain majeur de la littérature populaire.(source : Evene)