05/12/2023

18/12/2023 - Rendez-vous des philosophes

Jean-Marie Franczak et ses amis philosophes vous donnent rendez-vous  pour une discussion sur le thème 

la parole et l’écoute

Jamais les hommes n’ont autant pris la parole, tout le monde s’exprime, mais on parle de plus en plus mal et avec violence, partout : dans la rue, au travail, à l’école, sur les réseaux, dans les débats à la télé …. Mais on ne s’écoute plus !
Comment en est-on arrivé là ? Comment retrouver le sens de la parole respectueuse et le sens de l’écoute ? Voici les questions posées par Jean-Marie Franczak.
Pour l’écouter et en débattre avec lui, rendez-vous le lundi 
18 décembre à 20h au Bon Accueil à Spechbach


MyMaxicours /Philosophie / 
La communication est-elle la première fonction du langage ?
Quand nous prenons la parole, disons-nous, c'est afin d'exprimer notre pensée, et par là de la communiquer ; ce mot signifie en effet étymologiquement « mettre en commun » quelque chose – ici, nos pensées. Ainsi le langage, oral ou écrit, nous apparaît d'abord comme un moyen, ou un instrument, dont la fonction est de communiquer. Mais cette première idée doit être justifiée.
... Le langage a été créé afin que les hommes puissent entrer en relation et échanger leurs idées : « Comme on ne saurait jouir des avantages et des commodités de la société sans une communication de pensée, il était nécessaire que l'homme inventât quelques signes extérieurs et sensibles par lesquels ces idées invisibles, dont nos pensées sont composées, puissent être manifestées aux autres. » J. Locke
Les mots sont donc bien des signes linguistiques qui ont pour fin d'extérioriser et par là de communiquer nos pensées.
C'est ainsi que la linguistique classique décrit le fonctionnement du langage, qui implique selon elle :
– un « émetteur » ou « locuteur », qui exprime une idée ;
– un « récepteur » ou « auditeur », qui l'écoute ;
– un « référent » : ce dont on parle, les échangées ;
– un « code », la langue, que le locuteur utilise pour exprimer sa pensée.
Ainsi les échanges linguistiques sont décrits comme n'importe quel « instrument de communication » (un téléphone, par exemple, implique aussi un « émetteur » et un « récepteur » entre lesquels circulent les informations codées sous forme d'influx électriques). Et, même si les linguistes admettent que le langage peut s'utiliser à diverses fins (donner un ordre, écrire des poèmes, etc.), ils maintiennent cependant le plus souvent, comme G. Mounin, que « la fonction communicative est la fonction première, originelle et fondamentale du langage, dont toutes les autres ne sont que des aspects ou des modalités non-nécessaires ». Mais cette façon de décrire le langage ne doit-elle pas être questionnée ?
Combien de fois en effet, voulant exprimer une idée nouvelle, un sentiment particulier, nous sommes nous exclamés : « je n'arrive pas à dire ce que je ressens ». Souvent, le langage semble en effet incapable de communiquer ce que nous voulons dire, et ce pour deux raisons :
1) le langage n'est que conventionnel, de sorte qu'il ne peut jamais représenter avec exactitude nos pensées ou sentiments ;
2) les mots sont généraux, de sorte qu'ils ne disent pas ce qu'il y a de particulier dans ce que nous cherchons à exprimer.
Le langage, à vrai dire, n'est pas un « outil » extérieur à moi que j'utilise dans un but déterminé (comme on utilise un marteau pour planter un clou). Pour le comprendre, il suffit de se référer à la façon dont nous expérimentons le langage : quand j'écoute quelqu'un parler, je n'ai pas à m'interroger longuement pour savoir quelles pensées me sont ainsi communiquées dans les mots, je n'ai pas à « traduire » ces mots en idées ; mais le sens, les idées me sont données instantanément dans et par les paroles mêmes de l'autre. Le langage n'est pas un instrument extérieur à nous ; par suite, il ne saurait être défini par une fonction unique – et moins que toute autre peut-être par celle qui consisterait à « communiquer ». Comment alors déterminer la nature du langage ?
Tant qu'elle n'est pas mise en mots, organisée sous la forme d'énoncés clairs, notre pensée demeure floue ou évanescente : « abstraction faite de son expression par les mots, notre pensée n'est qu'une masse amorphe et indistincte », écrit en ce sens le linguiste Ferdinand de Saussure, « prise en elle-même, la pensée n'est qu'une nébuleuse où rien n'est délimité. Il n'y a pas d'idées préétablies, et rien n'est distinct avant l'apparition de la langue ». Autrement dit, la pensée ne précède pas le langage ou les mots, qui ne serviraient qu'à l'extérioriser dans un second temps : mais c'est dans et par les mots qu'elle se constitue. C'est pourquoi Hegel dira que « c'est dans les mots que nous pensons », et que « vouloir penser sans les mots est une tentative insensée ».
Disposer d'un mot nouveau, c'est disposer d'une idée nouvelle : ainsi le mot « animal » permet de disposer de l'idée abstraite d'« être vivant », regroupant toute la diversité des animaux connus.
Et le poète (dont le nom vient d'ailleurs du mot grec poïèsis, « fabrication, production, création ») est celui qui est capable de faire surgir en nos esprits des représentations de ce qui pourtant jamais n'exista ; c'est ce que tente nous faire comprendre le poète Mallarmé dans les vers suivants : « Je dis : une fleur ! et [...] musicalement se lève, idée même et suave, l'absente de tout bouquet. » (Divagations). Écrire ou prononcer ce simple mot : « une fleur », fait surgir l'idée de cette fleur qui pourtant ne fut jamais présente en aucun bouquet auparavant rencontré.
L'usage « appellatif » ou « performatif » du langage consiste à provoquer en autrui un sentiment, une action ou une réaction. Ainsi quand le général d'une armée crie à ses hommes « à l'attaque ! », il ne cherche pas tant à communiquer avec eux, qu'à les faire agir : le langage implique une dimension de pouvoir sur autrui.
C'est ce qu'avaient bien compris les sophistes de l'Antiquité (que critique Platon), qui font usage du langage en vue de persuader leur auditoire de l'opinion qui leur sera avantageuse, du point de vue politique ou judiciaire par exemple : l'art de bien parler, la rhétorique et la sophistique, permet d'entraîner les foules dans la direction qu'on veut bien ainsi leur imprimer.
C'est en ce sens que G. Berkeley pourra dire que « la communication des idées marquées par les mots n'est pas la seule ni la principale fin du langage, comme on le pense communément. Il y a d'autres fins, comme éveiller une passion, provoquer une action ou en détourner, mettre l'esprit dans une disposition particulière » (Principes de la connaissance humaine, Introduction, § 20).

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